Phonorama, le site dédié aux phonographes à cylindres

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Lettre d'Henri Lioret à M. Hotchkiss

H.J. LIORET
Inventeur-Constructeur

270, Boulevard Raspail
Paris. – XIV°

Paris, le 15 juin 1933

Monsieur F.H. Hotchkiss
Société de Matériel Acoustique Inc.
1, Boulevard Haussmann
PARIS.

Monsieur,


Faisant suite à nos divers entretiens, je vous confirme ci-après, les renseignements qui vous ont été donnés de vive voix au sujet des travaux que j’ai effectués, tantôt seul, tantôt en collaboration avec d’autres inventeurs tels MM. Ducretet, Dragoumis, et le docteur Struycken, sur l'enregistrement et la reproduction sonore.
Tout d’abord, pour ce qui est de l'emploi du celluloïd comme support de phonogramme, je vous renvoie à mon brevet français du 28 novembre 1893 (addition à mon brevet 200.177 du 18 mai de la même année) dans lequel je revendique explicitement cette application alors inédite du celluloïd. J’ai utilisé cette substance pour les enregistrements sonores en profondeur aussi bien sur cylindre que sur disque bien que j’aie également fabriqué de ces derniers par estampage sur disque de carton spécial préalablement enduits d’une mince couche cellulosique. Ainsi que je vous l’ai expliqué, la méthode à laquelle j’avais habituellement recours pour l’apprêt des supports vierges, de manière à faciliter l’action du burin graveur sur l'enregistreur consistait à immerger préalablement les supports vierges dans de l’alcool camphré.
En ce qui concerne la stabilité de déroulement des supports de phonogrammes, je tiens à vous dire que je me suis rendu compte, dès le début de mes travaux, de l’importance capitale que représentait pour la qualité du son l’élimination des fluctuations parasites dans la vitesse moyenne de déroulement. Du reste, il vous est loisible de vous en convaincre vous-même en lisant le deuxième paragraphe de mon brevet français n° 230.177 précité et les articles parus dans la revue La Nature des 4 septembre 1897 et 5 février 1898 (voir, en particulier les derniers paragraphes de la page 210 n° 1266 et la page 158 du n° 1288) où vous voyez que j’avais très efficacement résolu ce problème en adjoignant systématiquement un volant à l’arbre du tambour porte cylindre, puis en attaquant l’arbre en question par une courroie possédant une certaine élasticité. D'ailleurs, il suffit de se reporter aux gravures de mes divers catalogues (distribués par milliers d’exemplaires) pour se convaincre que le volant stabilisateur de déroulement était une caractéristique saillante de tous mes appareils, non seulement des centaines de "Lioretgraph" (nom générique que j’avais donné à mes divers appareils sonores) fabriqués par moi entre les années 1893 et 1910, mais aussi des nombreux phonographes Columbia et Edison, d’origine américaine, que je modifiais d'emblée sous ce rapport avant de les revendre. J’ai d’ailleurs tout naturellement appliqué ce procédé de stabilisation de vitesse à la plupart des autres machines de divers genres que j’ai construites, soit en incorporant à dessein la masse faisant volant dans le tambour dérouleur même (comme c’est le cas de l’appareil Struycken modifié du genre de celui que j’ai fourni au Laboratoire de Phonétique expérimentale du Collège de France et lequel comporte un tambour massif de 132 dents pesant 2 k 500) soit, dans le cas d’appareils portatifs où il y a toujours intérêt à réduire le poids de l’appareil le plus possible, en disposant, sur un tourillon indépendant, un volant de dimensions moindres mais accouplé au tambour dérouleur de bande de manière à tourner à une vitesse beaucoup plus élevée que ce dernier. J’ajoute que, dans certains appareils utilisant des supports de phonogrammes en forme de bande et comportant des tambours dérouleurs lisses, tels ceux que j’ai établis entre 1911 et 1915 en collaboration avec feu M. Dragoumis, la masse stabilisatrice de déroulement était automatiquement pourvue par les tambours dérouleurs en bronze et, accessoirement par les grandes poulies d'entraînement, par leurs dimensions et masses propres respectives. A ce sujet, je vous rappelle que vous disposez déjà de photographies originales de deux de ces appareils ainsi que l’appareil enregistreur multiple que j’ai établi en 1919 pour le Laboratoire de la Parole à la Sorbonne (M. le Professeur Poirot) et du Lioretgraph transcripteur dont il a été vendu de nombreux exemplaires aux Facultés françaises et étrangères, photographies d’où ressort nettement l’importance pondérale des poulies et des tambours en question.
Pour ce qui a trait à la vitesse périphérique ou linéaire des supports de phonogrammes, je tiens à vous dire qu’elle était essentiellement variable, dépendant surtout des diamètres des cylindres utilisés et, dans le cas d’enregistrements sur bandes, de la nature du son enregistré (bruits, voix, musique etc.). J’ai fabriqué, à titre commercial quatre types de cylindres, à savoir mes cylindres de série courante en celluloïd et en cire, dénommés Eurêka et Inter s’emboîtant sur des tambours de 43 mm et 70 mm de diamètre moyen respectif, puis un type de cylindre en cire de diamètre plus fort dit Stentor, ainsi qu’une autre série de cylindres en cire s’emboîtant sur des tambours de 138 mm de diamètre moyen et dont je vous ai fait remettre deux exemplaires. La vitesse de rotation des enregistrements cylindriques normaux était de l’ordre de 180 tours par minute. La vitesse linéaire du ruban ou du film photographique utilisé dans les appareils du type Struycken était de l’ordre 1m20 par seconde, ainsi que vous pourrez vous en rendre compte en mesurant la longueur de l’onde du diapason enregistrée en marge sur les échantillons de graphiques que je vous ai remis.