Phonorama, le site dédié aux phonographes à cylindres

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La déchéance des brevets d'Edison

Annales de la propriété industrielle,
artistique et littéraire 1896 (A42,T42)

Art. 3829

 

Brevets Edison. — Phonographe. — Saisie-contre- façon. — Ordonnance sur requête. — Référé. — Appel.

L'ordonnance sur requête, par laquelle le président du Tribunal autorise la saisie d'appareils argués de contre- façon, sous la condition de lui en référer en cas de difficultés, est un acte de juridiction gracieuse ; ce magistrat est compétent pour statuer sur le recours introduit devant lui relativement à cette première ordonnance, à raison de la réserve qu'il y a insérée (1).
La seconde ordonnance, ainsi rendue en référé, est au contraire une décision contradictoire rendue en vertu de la juridiction contentieuse ; elle est par suite susceptible d'appel (2).


La Compagnie Edison est propriétaire, pour la France, du droit d'exploitation des brevets Edison relatifs au phonographe, mais elle ne fabrique pas elle-même les appareils brevetés, elle les fait venir d'Amérique en l'état même où elle les vend au public, en sorte qu'une Société américaine, ayant à sa tête un sieur Vifquain, se crut en droit de vendre à son tour en France des phonographes fabriqués en Amérique, malgré la licence exclusive consentie par Edison à la Compagnie Edison, estimant que l'importation des objets brevetés avait fait tomber dans le domaine public les brevets d'Edison en France (3). La Compagnie Edison fit saisir, à leur entrée en France, les phonographes introduits par Vifquain, en vertu d'une ordonnance rendue par M. le Président du Tribunal de la Seine, du 19 septembre 1894, laquelle ordonnance ne fut rendue par M. le Président que sous la condition de lui en référer en cas de difficultés. Le sieur Vifquain estimant que la saisie pratiquée sur lui l'était sans droit, les brevets Edison ayant encouru la déchéance édictée par l'article 32, § 2, de la loi du 5 juillet 1844, introduisit un référé afin d'obtenir la transformation de la saisie réelle en une saisie descriptive et la restitution des appareils argués de contrefaçon. Le 20 octobre 1894, M. le Président rendit une ordonnance jugeant « qu'il n'y avait lieu à référé ». Appel par le sieur Vifquain et, le 8 août 1865, arrêt de la 1° chambre de la Cour :
LA COUR, Considérant que l'ordonnance sur requête du 19 septembre 1894, autorisant la saisie des appareils argués de contrefaçon, n'a été rendue par le Président du Tribunal que sous la condition de lui en référer en cas de difficultés ; Que cette ordonnance a été rendue par le Président en vertu des pouvoirs de juridiction gracieuse qui lui sont attribués par la loi ; qu'il était donc compétent pour statuer sur le recours introduit devant lui relativement à ladite ordonnance, à raison de la réserve qu'il y avait insérée ; Que le référé du 30 octobre 1894 est, au contraire, une décision contradictoire, rendue en vertu de la juridiction contentieuse; qu'elle est, par suite, susceptible d'appel ; Que la Cour a, dans les documents qui lui sont soumis, les éléments d'appréciation suffisants pour statuer en fait ; Qu'il y a lieu de réformer, et tout en maintenant la saisie, à raison du procès en contrefaçon, lequel n'a point encore été l'ob- jet d'une solution définitive, de substituer à la saisie matérielle des appareils la saisie descriptive, laquelle sauvegarde suffisamment les droits éventuels de la Compagnie Edison.

PAR CES MOTIFS, Dit que le juge des référés était compétent pour statuer ; Déclare l'appel recevable ; Maintient dans toutes ses dispositions, et notamment dans celle relative au cautionnement de 1,000 francs, l'ordonnance du 19 septembre 1894 ; Et réformant en ce qui touche la saisie réelle, dit que Vifquain sera autorisé à rentrer en possession de tous les appareils et de tout le matériel saisi, tant rue Bergère 30, qu'à la gare des Batignolles, nonobstant toute saisie ; Dit que les dépositaires des objets dont s'agit sont autorisés à les remettre à Vifquain sur le vu du présent arrêt ; quoi faisant, déchargés ; Dit toutefois qu'avant la remise desdits objets, il sera procédé, à la requête d'Edison ou, à son défaut, à celle de Vifquain, à la description, par procès-verbal d'huissier, des appareils argués de contrefaçon ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel, pour être supportés par moitié entre les parties. Présidence de M. LEFEBVRE de VIEPVILLE. — Avocats, Mes FRÉDÉRIC METTETAL et HUARD fils.

(1-2) Lorsque le président du Tribunal civil rend une ordonnance autorisant la saisie d'objets prétendus contrefaits, cette ordonnance n'est pas susceptible d'appel, mais on peut, en vertu de la réserve d'usage contenue dans cette ordonnance, former opposition devant le président statuant en référé; si alors une seconde ordonnance, modifiant la première, subordonne l'autorisation de saisie au dépôt préalable d'un cautionnement, cette seconde ordonnance est-elle susceptible d'appel ? La Cour de cassation disait non, autrefois (Cass., 13 août 1862, S. 62. 1. 929).
Depuis quelques années la jurisprudence s'est nettement prononcée dans un sens opposé ; c'est ainsi qu'un arrêt de la Chambre civile, du 10 novembre 1885 (S. 86. 1. 9), a décidé : que l'ordonnance rendue, après débats contradictoires, par le Président, en vertu de la réserve de lui en référer en cas de difficultés insérée dans une ordonnance par laquelle il avait autorisé une saisie-arrêt, était susceptible d'un recours ; que cette ordonnance, ayant pour objet l'exécution d'une décision de justice, avait tous les caractères d'une ordonnance de référé et qu'elle était, par suite, susceptible d'appel.
Ces principes sont évidemment applicables au cas d'une ordonnance rendue par le président, conformément à l'article 47 de la loi du 5 juillet 1844 et autorisant une saisie d'objets argués de contrefaçon (C.de Paris, 22 juin 1885, S. 89. 1. 371).
Mais quelle sera la situation, lorsque le Tribunal compétent aura été saisi du fond même de la demande, avant  que le juge des référés ait été saisi de l'appel de l'ordonnance autorisant la saisie ?

En matière de saisie-arrêt, si le référé survient après la dénonciation de l'opposition, et par suite après que le Tribunal aura été saisi d'une instance principale en validité, la Cour de cassation refuse sans hésitation d'admettre que le juge des référés puisse, en présence d'une demande en validité portée devant le Tribunal, rapporter l'autorisation qu'il avait donnée (Cass., 10 novembre 1885, Bourgeois, D. 86. 1. 209 ; Cass. civ., 16déc. 1889, Malapert, D. 90.1.125; Cass., 1"' juillet 1890, Tliierré, D. 90. 1. 469; Cass., 5 mars 1890, von Hesse, D. 90. 1. 477.)
La jurisprudence de la Cour de cassation a été adoptée par les troisième, quatrième, sixième chambres de la Cour de Paris.
Au contraire les première, deuxième, cinquième, septième Chambres de la même Cour persistent à juger que le président peut, en référé, rapporter son ordonnance sur requête :
1° Chambre : 2 mars 1889, Von Hesse. 90. 2. 477, arrêt cassé, — 19 juin 1889, Malapert, 90. 1. 1. 263, arrêt cassé, — 18 juillet 1889, Pon- salle; 91. 2. 49, — 24 avril 1891, Lamajaux, 91. 5. 467, — 22 janvier 1892, Minet, 92. 2. 419.
2° Chambre : 27 décembre 1887 (la Loi, 22 février 1888).
5° Chambre : 18 janvier 1886, D. S. v» Référé, n. 13, — 3 novembre 1889 {la Loi, 11 nov.1887).
7° Chambre : 19 février 1886 {la Loi, 28 fév. 1886), — 3 janvier 1889, Marton, D. 91. 2. 49.
Et la 4° chambre a fini par se rallier à la doctrine de la lre (6 avril 1895, Gaz. Pal, n» du 4 mai 1895).
En matière de saisie-contrefaçon, la Cour de cassation a décidé (Cass., ch. civile, 31 mai 1886, Placet, Ann., 87. 48) que lorsque la saisie avec description d'objets argués de contrefaçon, pratiquée conformément à l'article 47 de la loi du 5 juillet 1844, a été suivie, dans le délai de huitaine prévu par l'article 48 de cette loi, d'une assignation donnée devant le Tribunal par le propriétaire du brevet au prétendu contrefacteur, le président du Tribunal ne pouvait, en vertu de la réserve de lui en référer contenue dans cette ordonnance, la rétracter purement et simple- ment par une ordonnance ultérieure, le procès-verbal de description et de saisie étant devenu alors l'accessoire légal et nécessaire de la pour- suite en contrefaçon, avec laquelle il formait un tout indivisible ; le président ne pouvait donc, en annulant ce procès-verbal, priver le demandeur des constatations qu'il avait obtenues et enlever à la poursuite un de ses éléments essentiels.
Les principes émis par l'arrêt précité sont évidemment aussi sages que juridiques. Il est certain, pour nous, que le président ne peut, en rétractant purement et simplement son ordonnance, alors que le Tribunal est saisi de l'action au fond, priver le demandeur d'un moyen de preuve qui lui est formellement concédé par la loi.
Mais s'il ne peut rétracter son ordonnance, peut-il la modifier, trans- former une saisie réelle en une saisie descriptive ou réduire une saisie réelle, vexatoire, à la saisie d'un seul échantillon des objets argués de contrefaçon ? Incontestablement oui, selon nous, parce que, en agissant ainsi, il ne préjudiciera jamais au fond, et c'est là qu'il importe de bien remarquer les différences essentielles qui distinguent la saisie-arrêt de la saisie-contrefaçon : la saisie-arrêt est une mesure conservatoire; si peu qu'il modifie l'ordonnance qui l'autorise, le président préjudicie au fond puisqu'il diminue le gage du créancier, il touche au principal ; la saisie- contrefaçon n'est pas une mesure conservatoire, elle n'est considérée par la loi du 5 juillet 1844 que comme moyen de preuve, la modifier dans le sens indiqué plus haut par nous, ce n'est pas toucher au principal, le procès-verbal de description reste pour fournir aux débats les preuves de la contrefaçon.
L'arrêt de Cassation précité, du 31 mai 1886, n'a examiné que l'hypothèse où le président, rétractant son ordonnance et annulant ainsi, par voie de conséquence, le procès-verbal de saisie, priverait le demandeur du bénéfice des constatations qu'il a obtenues ; il ne s'est pas prononcé sur le droit à la modification. Mais un arrêt récent de la Cour d'Aix (22 novembre 1894, S. 95. 2 et la note) a décidé que le président du Tribunal civil avait compétence pour restreindre les effets de l'ordonnance autorisant la saisie d'objets argués de contrefaçon, quoique, antérieurement à l'assignation donnée devant le président à l'effet de faire restreindre l'autorisation de saisie, le saisi eût été cité en contrefaçon devant le Tribunal civil.

(3) La déchéance des brevets Edison relatifs au phonographe a été prononcée par un jugement du Tribunal correctionnel de la Seine confirmé à la Cour, le 4 juillet 1895 par défaut et, sur opposition, le 5 janvier 1896.