Phonorama, le site dédié aux phonographes à cylindres

Phonorama, le site dédié aux phonographes à cylindres
Edouard Hardy, un Ingénieur-constructeur oublié



 

    Issu d’une famille parisienne aisée, Edouard Hardy grandit  au n° 4 Rue des Douze Portes à Paris où il est né le 29 janvier 1831. Ses parents, propriétaires-rentiers veillent à la bonne éducation de leurs trois enfants. Edouard, le benjamin,  termine ses études avec le titre d’ingénieur, obtenu à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures. Ses frères aînés ont également mené de solides études; Ernest, docteur en médecine et licencié ès sciences physiques sera Chef du Laboratoire de Chimie de l'Académie de médecine, Léopold deviendra un architecte réputé.
    En 1855, le le jeune centralien (1) débute sa vie professionnelle dans l'immeuble familial du 68, rue Bonaparte où il exerce la profession d'opticien. Il oriente bientôt son activité vers la  construction de pièces d’horlogerie électriques et d'instruments scientifiques enregistreurs (baromètres, thermomètres, anémomètres). Sons atelier d'abord installé au 13, rue Neuve-Guillemin, sera transféré en 1861 au 21, Rue de Sèvres (2). C'est à l'Exposition des produits des Beaux-arts et de l’Industrie de Toulouse de 1858 qu'il présente pour la première fois sa production, récompensée par une médaille d'argent, avec cette appréciation élogieuse du jury : "Tous ces instruments, dont quelques-uns présentent  des perfectionnements et des innovations importantes, donnent une idée très avantageuse de l’habileté de ce constructeur nouvellement entré dans la carrière". Jusqu'en 1882, le constructeur participe régulièrement aux principales expositions industrielles où il obtient les plus hautes récompenses (3).
 

 
 

La reconnaissance du milieu scientifique

 

    Durant l'Exposition Universelle de Londres en 1862, Edouard Hardy fait une rencontre qui se  révèlera déterminante pour sa carrière. Parmi les grands constructeurs d'instruments scientifiques et de précision qu’il côtoie, Gustave Froment, de seize ans son aîné, manifeste de l’intérêt pour ses appareils d'une construction aussi soignée qu'élégante. Les deux ingénieurs se rapprochent, le centralien bénéficiant des précieux conseils du polytechnicien respecté par sa profession. Grâce à l'appui de son maître, Edouard Hardy est recruté en 1865 par les membres de la prestigieuse Société d’Encouragement pour l’industrie nationale (4) où il rejoint l'élite scientifique et industrielle française. En 1866, après le décès de Gustave Froment, son élève lui succède dans le corps des Ingénieurs-Electriciens de l'Administration des lignes télégraphiques au sein du Conseil de perfectionnement, une importante institution qui contribuera au remarquable essor de la télégraphie jusqu'à la fin du siècle (5).
    Avant l'Exposition Universelle de Paris en 1867, la Commission impériale désigne les délégués chargés d’établir la convention fixant l'organisation et les relations avec les exposants. Edouard Hardy, tout comme son confrère Paul Dumoulin (Atelier Dumoulin-Froment), gendre et successeur de Gustave Froment, est l'un des cinq délégués (6) agréés de la classe 12 (Instruments de précision et matériel de l'enseignement des sciences). Cette mission l'amène à négocier avec les constructeurs renommés tels que Kœnig, Deleuil, Duboscq, Ruhmkorff ou Secrétan. En tant qu’exposant, il est récompensé par une médaille d'argent accordée pour la qualité de ses instruments, notamment son chronographe électro-balistique.

Un constructeur ingénieux et modeste

    En 1871, le constructeur, dont les ateliers sont maintenant installés au 6, avenue de la Motte Piquet, publie un catalogue afin de promouvoir ses réalisations; sa notoriété est établie, des commandes lui parviennent de la plupart des pays européens. Sa participation à l'Exposition Universelle de Vienne de 1873 lui vaut une médaille de progrès. La Société d'Encouragement lui attribue en 1876 sa plus haute récompense, une médaille décernée pour l'ensemble de ses travaux. A cette occasion, dans son rapport publié dans le bulletin de la Société, le comte Théodose Du Moncel nous éclaire sur la personnalité de l’homme. A propos d'appareils de la plus haute importance (7), le comte témoigne : "M. Hardy ayant eu la modestie de ne pas adjoindre son nom à ces deux inventeurs, est resté un peu oublié, malgré les perfectionnements de détail qu'il a apportés à ces appareils et les soins intelligents qu'il a donnés à leur construction". Du Moncel rappelle que la récompense "montre en quelle estime la Société tient cet habile constructeur, le digne élève de M. Froment, notre regretté confrère". Modeste, l'Ingénieur-constructeur se montre de plus attentionné envers les mécaniciens de son atelier; il se joint à eux pour participer à une souscription lancée par le quotidien Le Corsaire, dont le succès permet à une centaine d’ouvriers français d'effectuer le voyage à Vienne pour découvrir l'Exposition Universelle de 1873.

Le phonographe à l'Exposition de 1878

    Après celles de 1855 et de 1867, Paris accueillie en 1878 sa troisième Exposition Universelle. Les deux frères Léopold et Edouard Hardy vont associer leur nom à la première manifestation d’envergure organisée sous l’égide de la jeune troisième République. Sur le Champ de Mars, le Palais de l’Exposition, nommé aussi Palais de fer, est l’œuvre de Léopold Hardy, architecte en chef de l’exposition et frère d’Edouard.
    Pour sa part, début mars, Edouard est approché par Théodore Puskas, l’agent de Thomas Edison pour l’Europe; l’américain veut proposer un phonographe de démonstration sur le stand Edison de l'exposition. Pour être vendu au public, l'appareil doit être plus maniable que le grand modèle présenté pour la première fois en France par le comte Du Moncel à l’Académie des Sciences le 11 mars. Son choix ne doit rien au hasard; l’ingénieur parisien a construit la plume électrique d’Edison et sa renommée grandissante le fait figurer dans le cercle des meilleurs constructeurs français.
    Le phonographe, tout juste sorti des ateliers Hardy, est prêt pour l'ouverture de l'Exposition, le 1er mai 1878. Deux exemplaires sont installés dans la Classe 65 (Matériels et procédés de la télégraphie) : le premier sur le stand Edison, le second sur celui d’Edouard Hardy.  Au terme de l'exposition, Edison reçoit la Médaille de Grand Prix, Hardy se voit récompensé par deux médailles d'or.

Publicité de Hardy (1879)

Catalogue Hardy (1871)
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Le phonographe à mouvement
d'horlogerie (1878)

Le Forménophone (1893)

 
 

    
    Parallèlement à l'exposition,  dès le 27 avril, les spectateurs des Auditions du phonographe de la salle des Capucines, assistent aux démonstrations d'un nouveau phonographe doté par Hardy d'un mouvement d'horlogerie entraîné par la chute d'un poids.
    Il est intéressant de noter qu'en 1879, à L'Exposition des Sciences appliquées à l'Industrie, Edouard Hardy présentait dans sa vitrine un phonographe à plateau horizontal construit dans son atelier pour le compte de l’ingénieur Gustave Gamard (8).

 

La fin d'un brillant parcours

 

    Dans la liste des exposants de l'Exposition Internationale d'Electricité qui se tient à Paris en 1881, on relève les noms de "Hardy, Hayet et Lignereux, successeurs" (Paris, 6, avenue La Motte-Piquet). En effet, Edouard Hardy a cédé son entreprise aux deux ingénieurs électriciens Casimir Hayet et Louis-Edmond Lignereux. Une nouvelle société, "Hayet et Cie", succède à "Hayet et Lignereux" en juin 1882; elle cessera son activité 5 mois plus tard. Il faudra attendre 1885 pour voir la ré-ouverture des anciens ateliers Hardy, rachetés par Ferdinand Duplay, un ingénieur polytechnicien. La maison Duplay, spécialisée dans l'électricité appliquée aux sciences, à l’industrie, à la médecine et aux arts, vend toujours les phonographes précédemment construits par Hardy (9).
    L'année 1881 se termine avec la remise à Edouard Hardy de la Légion d'honneur, attribuée pour ses "perfectionnements à divers appareils usités en télégraphie et en météorologie".  En 1885, il se retire à Dreux, ville de son épouse Berthe, née Rousseau, qui lui a donné un garçon et une fille. Libéré de la charge de son atelier, il se consacre à de nouvelles applications industrielles dans ses domaines de prédilection, l'acoustique et l'électricité. Ses derniers travaux donnent lieu au dépôt de brevets venant compléter une série initiée en 1860 avec un brevet relatif à un pied mécanique pour chambre noire. L'un de ses appareils remarquables, nommé le Forménophone, créé en 1893, permet de détecter du grisou (le formène) dans les mines. Son principe repose sur l’analyse de fréquence des battements résultant du passage des gaz dans les tuyaux sonores. Le Forménophone bénéficie d'un accueil très favorable par l'industrie minière.

    L’une des dernières inventions de l'ingénieur, le "microphone à pivots", doit son nom à ses composants principaux. L'instrument fait l'objet d'un mémoire présenté à l'Académie des Sciences en 1897. Ce microphone très sensible trouve une application dans la télégraphie sous-marine; proposé pour éviter les collisions en mer, il est agréé par le Ministère de la Marine après des essais réalisés à Cherbourg. Sa commercialisation est assurée en 1898 par l'éphémère société "Hardy (E), Picard et Cie" (10), spécialisée dans les inventions microphoniques.
    Edouard Hardy décède le 3 mai 1899, à l'âge de 68 ans, dans la maison de ses beaux-parents au 20, rue des Capucins à Dreux. Seuls quelques journaux évoquent sa mémoire, nous retiendrons un article qui lui rend hommage en ces termes élogieux "Cet homme, dont toute la vie fut consacrée à la science, comptait parmi les savants les plus distingués de notre époque".
 

 

  (1)

L'année de promotion du centralien reste à découvrir. L' annuaire des anciens élèves de l'Ecole Centrale 1832-1888 mentionne bien "Hardy. Ingénieur civil. (Médaille d’or à l’Exposition universelle, 1878)" promotion 1842, année incompatible avec sa date de naissance.

 
  (2)

Ce déménagement est lié aux vastes travaux haussmanniens. Le prolongement de la rue de Rennes a conduit à la disparition de la rue Neuve-Guillemin en 1867.

 
  (3)

E. Hardy a participé à l'Exposition des Beaux Arts et de l'industrie de Toulouse (1858), aux Expositions Universelles de Paris (1867 et 1878), de Besançon (1860), de Londres (1862) et de Vienne (1873), aux  Expositions Internationales de Londres (1871) et à l'Exposition Internationale d'Electricité  de Paris (1881). Il y a été récompensé par plusieurs médailles d'or et d'argent.

 
  (4)

La Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, association fondée en 1801, reste de nos jours fidèle aux objectifs définis dès ses origines. Elle poursuit depuis deux siècles sa mission d’accompagnement des grandes mutations industrielles, économiques et sociales.

 
  (5)

Le Conseil de perfectionnement institué en 1858, avait pour mission de formuler un programme d'innovations et de recherches pour l'Administration des lignes télégraphiques. D'un haut niveau technique et scientifique, il s'appuyait sur la compétence d'ingénieurs et de constructeurs, pour la plupart polytechniciens. En 1860, il créa l'emploi d’Ingénieur-électricien bénéficiant d'un traitement de 6.000 Francs.

 
  (6)

Le groupe des délégués comportait cinq constructeurs : MM. Bardou, Dumoulin-Froment, Hardy, Nachet et Vasseur.

 
  (7)

Il s'agit de deux systèmes télégraphiques de M. Meyer, des chronographes de MM. Gloesener et Martin de Brettes, construits par Hardy et récompensés par la Société d'Encouragement.

 
  (8)

Ce phonographe, conçu par Gustave Gamard, jeune ingénieur de l’Association Philotechnique, est décrit par le comte Du Moncel (Le Téléphone, le Radiophone et le Phonographe.  Paris, 1882).

 
  (9)

Le Moniteur de l’Exposition de 1889 daté du 5 avril 1885 annonce : "Tout le monde connait les propriétés du phonographe. La Maison Duplay en expose une grande variété, petits modèles à main, pour les cabinets de physique, grands modèles à mouvement d’horlogerie". L'article publicitaire comporte une gravure légendé "Phonographe Duplay" représentant en réalité le phonographe à mouvement d'horlogerie construit par Hardy en 1878.

 
  (10)

Edouard Hardy et son collègue centralien Armand Picard, directeur de l'Office des Brevets, fondent en septembre 1898 la société "Hardy (E), Picard et Cie", ayant pour objet "d'exploiter les inventions microphoniques de M. Hardy". En février 1899, au lendemain du décès d'Edouard Hardy, Armand Picard se retire de son poste d'associé, la raison sociale de la société devient "Hardy, Walter et Cie".